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Laurent Arbeit – Auberge Saint-Laurent à Sierentz (68) : « Je me considère plus comme un aubergiste qu’un chef ! »

C’est au sud de l’Alsace, dans le Pays de Sierentz, que Laurent Arbeit écrit la suite d’une grande saga familiale. Celle de ses grands-parents et de ses parents Anne et Marco Arbeit qui ont fait de l’Auberge Saint-Laurent une institution alsacienne. Fort d’un professionnalisme forgé chez  Marc et Paul Haeberlin, Pierre Carrier et Franck Cerrutti, le jeune chef réinterprète le patrimoine culinaire régional avec brio. Rencontre avec Laurent Arbeit, un chef épicurien qui prône la simplicité…

Vous avez baigné toute votre enfance dans la cuisine. Avez-vous un souvenir gustatif particulier à nous raconter ?

Quand j’étais petit et que j’avais faim, je me glissais dans la cuisine du restaurant pendant le service. Là mon père me faisait cuire des spätzles dans de la crème sur un coin du fourneau… ces mêmes spätzles que l’on dégustait en famille avec un filet mignon et une crème aux champignons, le plaisir ultime ! Ils ont eu une vraie incidence sur ma carrière. De retour de chez Ducasse où j’avais appris à faire le risotto, j’ai voulu imprimer mon terroir sur notre carte en proposant ces fameux spätzles en risotto. On les fait évoluer au gré des saisons avec des trompettes de la mort, des artichauts ou encore de la truffe noire. Et aujourd’hui on ne peut plus les retirer de la carte ! Dans notre winstub, nous les servons en plat principal façon carbonara cuisinés avec du lard, du lait et des œufs de la ferme du village.

A quel moment avez-vous décidé de poursuivre l’aventure familiale derrière les fourneaux ? Auriez-vous pu exercer une autre profession ? Si oui, laquelle ?

Comme tous les petits garçons je rêvais d’être footballeur ou pilote de mirage, et bien sûr cuisinier à l’image de mon père. Au fil des années le métier de cuisinier est devenu une évidence. Le déclic s’est fait lors d’un repas à l’Auberge de l’Ill à l’âge de 12 ans. J’ai rencontré Paul Haeberlin et je lui ai dit « Monsieur Paul je veux apprendre le métier chez vous. Ce à quoi il a répondu ok ! ». Mon père m’a d’abord envoyé chez l’un de ses confrères dans une toute petite maison où j’ai travaillé dur. J’étais très fier d’y avoir gagné mon premier salaire de 500 francs à l’époque. Puis je suis parti en apprentissage.

Comment votre papa, le chef Marco, a-t-il influencé votre façon d’appréhender ce métier ?

Mon père, et de façon plus générale ma famille, m’ont appris à tenir une maison. Je me considère plus comme un aubergiste qu’un chef. Dans notre métier il faut savoir cuisiner mais aussi recevoir les gens, goûter les vins, arroser les plantes, faire les courses etc. Nos clients viennent chez nous pour ce côté maison familiale. On échange avec eux des nouvelles des enfants. On leur fait goûter sur le pouce les cèpes que l’on vient de nous apporter. J’ai la chance de travailler en famille avec ma sœur Marie. Mon père passe tous les matins pour le petit déjeuner à 7 heures, puis ma mère plus tard. Tous deux sont dans l’ombre et contribuent à l’âme de la maison familiale.

Vous avez fait vos armes chez les grands de la gastronomie française : Paul et Marc Haeberlin, Alain Ducasse, Franck Cerrutti, Pierre Carrier etc. Considérez-vous l’un d’entre eux comme votre mentor ?

J’ai appris de chacun d’entre eux. Au-delà des hommes, ce sont plus les familles qui m’ont marqué. La grande famille Haeberlin bien entendu, le groupe Ducasse avec Franck Cerrutti, la famille Carrier et bien sûr ma famille : mes parents ainsi que les parents de mon épouse qui sont aussi restaurateurs. C’est comme dans une auberge espagnole, tous m’ont apporté et m’ont donné les clés pour devenir restaurateur et entrepreneur.

Selon vous, quelles sont les qualités essentielles pour être un bon chef ? Parlez-nous de votre brigade

Le plus important à mes yeux est l’humain. Il faut être juste, fédérateur et donner envie de bien faire. L’époque où l’on avait la crainte du chef est révolue. J’ai la chance d’avoir une bonne équipe. On travaille dans la bienveillance et le respect. Je les écoute et je n’hésite pas à leur demander leur point de vue pour la carte. Bien sûr comme dans toutes les cuisines il y a des petits coups de gueule quand c’est justifié !

Qu’est-ce qui caractérise la cuisine de l’Auberge Saint-Laurent ?

C’est une cuisine gourmande comme moi ! Elle est à base de bons produits frais de saison. Je travaille de façon très classique avec un brin de ma génération : un élément principal, un ou deux légumes et un assaisonnement. Ma priorité c’est le goût d’un bon produit en bouche.

Quels sont les plats dont vous êtes le plus fier ? Avez-vous des plats « signature » ?

Le plat de mon père : le foie gras de canard en terrine servi avec un confit de choucroute. Je ne veux pas me l’approprier ou le changer. Il fait partie de notre histoire familiale. Sinon parmi mes créations, le homard à la crème de châtaigne ou encore le filet de bœuf de Strasbourg.

L’Alsace a donné naissance à de nombreux plats emblématiques (choucroute, foie gras, baeckeoffe etc.) dont votre Winstub « à côté » se fait l’écho. Etes-vous attaché à la transmission du patrimoine culinaire ?

La gastronomie alsacienne souffre de certains clichés. C’est une cuisine opulente avec plusieurs spécialités gourmandes qu’on a du mal à imaginer dans des petites assiettes. La difficulté est de réussir à lui donner un goût délicat. Donc on réinterprète et on se sert des éléments de l’Alsace classique que l’on revisite. On s’adapte aux attentes des clients. Par exemple je propose un omble chevalier en croûte de bretzel avec un sabayon à la livèche (condiment alsacien). En Alsace il y a une vraie volonté de préserver le patrimoine culinaire toutes générations de cuisiniers confondues. Beaucoup de jeunes cuisiniers alsaciens reviennent dans leur région après avoir beaucoup voyager en début de carrière. Ici c’est un état d’esprit. Tout le monde se considère, s’entraide et s’échange de bons procédés. Cela va bien au-delà de la transmission du patrimoine et du savoir-faire. Ce sont des valeurs que l’on retrouve dans les associations de chefs comme Les Etoiles d’Alsace dont je fais partie.

Chez Tables & Auberges de France, nous sommes très attachés à la valorisation des producteurs locaux. Pouvez-vous nous en recommander quelques-uns ?

L’Auberge St-Laurent est située dans le petit village de Sierentz où j’ai la chance de trouver presque tout ce dont j’ai besoin. Mon cousin fermier me fournit les fruits et les légumes (je suis bien incapable moi-même de gérer mon propre jardin !). La Ferme Iltis me procure le lait, les œufs, le fromage… J’ai un ramasseur de champignons et mon père va à la chasse quatre fois par semaine pour le gibier. Je passe mes commandes le soir et tous arrivent le lendemain matin pour boire le café. Ce moment partagé avec de vrais paysans permet de garder les pieds sur terre !

Citez-nous un produit que vous n’aimez pas et que vous n’avez jamais cuisiner…

Je déteste tous les produits de poissons reconstitués comme le surimi. Sinon j’aime à peu près tout. J’aime beaucoup les huitres, par contre je ne les cuisine pas. Je ne vois pas d’intérêt à les travailler ou les cuire. Elles sont tellement bonnes natures !

Que prenez-vous au petit déjeuner ? Que représente à vos yeux ce premier repas de la journée ?

C’est le moment que je partage le matin avec ma famille ou mes amis. Nous avons la chance d’avoir un boulanger dans le village qui fait spécialement pour l’auberge nos recettes de pain. Il arrive à 7h00 avec les viennoiseries toutes chaudes ou encore l’une de ses spécialités, des petits kouglofs alsaciens avec des amandes grillées… que du bonheur !

Propos recueillis par Annie Mitault

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